

Mardi 28 août dernier, en direct sur France Inter, le Ministre d’Etat de la transition énergétique et solidaire a annoncé, et contre toute attente, sa démission du gouvernement. A la fois interview radiophonique et télévisuelle (en direct sur le site de la radio publique), l’observation et l’analyse détaillée de ce questionnement ont confirmé mon intuition ressentie lors de cet improbable événement : les journalistes ont conduit et permis à Nicolas Hulot de se défaire d’une situation de souffrance à la fois psychique et émotionnelle.
Voilà une situation bien intéressante, fascinante même, pour les professionnels de l’écoute active et du questionnement que sont les coachs professionnels. J’ai la conviction que ce sont les questions des journalistes, plutôt respectueuses et bienveillantes, qui, conduisant Nicolas Hulot à reformuler, à haute et intelligible voix, la situation désastreuse de la planète, les conséquences des dérèglements du climat, et le constat affirmé de son impuissance, qui l’ont conduit à en tirer les conséquences hic et nunc.
Ayant écouté in vivo l’interview de Nicolas Hulot, j’ai perçu sans doute comme beaucoup d’autres, la lente montée de son émotion, des tensions palpables qui dépassaient largement l’épiphénomène des cadeaux faits la veille au soir par le PDR aux chasseurs. Et, j’ai écouté cette annonce d’une décision « extraordinaire » au sens littéral du terme, comme un véritable accouchement, fruit d’un questionnement précis et bienveillant. Un véritable exercice de maïeutique.
Extraordinaire, d’abord parce qu’il s’agit d’une star de la communication, d’un expert de ce genre d’exercice. Si d’aucuns pourront dire que Nicolas Hulot n’est pas un politicien roué, et que cet épisode démontre qu’il n’est pas un professionnel averti, sans doute oublient-ils que c’est l’un des grands professionnels de la communication hexagonale. Animateur de TV (la célébrissime Ushuaia), producteur, réalisateur, il est un expert avéré tant des espaces de communication directe (il en connaît les acteurs, les us et les coutumes), que de la gestion de son image, de son discours. Aucun spin doctor, aucun militant ou élu, ne penseraient dès lors que cette annonce, ait été improvisée et soit le résultat d’un tsunami émotionnel ? Aucun.e ? Pourtant, pour ma part, je crois vraiment que cette décision s’est imposée à lui au fil de l’entretien, comme incontournable.
En lâchant prise de la sorte, Nicolas Hulot s’affranchit de toutes les règles protocolaires et usuelles du champ politique, sans doute bien involontairement.
Regardons en détails, les phases de cet accouchement.
Au début de l‘interview, Nicolas Hulot apparaît particulièrement tendu, impression sans doute renforcée par le fait qu’il n’est pas rasé. C’est les yeux rougis qu’il accueille la première question de Nicolas Demorand (ND):
(ND) …C’est impossible à expliquer ?
(NH) Non (il lève les yeux au ciel, il bouge sur sa chaise), je ne comprends pas que nous assistions, globalement, les uns et les autres, à la gestation d’une tragédie bien annoncée dans une forme d’indifférence…
Et pendant que LS pose cette la question, Nicolas Hulot prend plusieurs inspirations, son œil droit (à gauche pour les spectateurs) cligne de manière fréquente, accompagné d’un rictus, ses yeux balayant en haut, réalisant un ping-pong incessant de droite à gauche, et stoppant vers le fin de la question en bas à gauche (à droite pour les spectateurs).
Il entame une réponse justificatrice, mais concède assez rapidement :
Mais, ne lutte t’il pas déjà contre sa propre conviction, et pourtant il réaffirme (à 3’46’’) :
(LS et NS) …et vous êtes tout seul à la manœuvre ?
(NH)…oui…
(LS) et vous êtes tout seul dans ce gouvernement ?
Il développe alors sur sa solitude dans le gouvernement, comme une forme de conscientisation, et cela monte crescendo :
(ND) Est ce que vous restez dans ce gouvernement de ce fait là (5’41’’) ? On entend ce matin que …
(LS) …la tristesse…
(ND) La tristesse et…même plus la colère Nicolas Hulot… ?
La journaliste nomme l’émotion qui l’étreint à ce moment là, précis, paroxystique de sa démonstration : la tristesse. Il a laissé poindre ses émotions, il les a exprimées et en les exprimant, il s’oblige à révéler ce qu’il veut vraiment faire en verbalisant son départ. Et à 5’53’’
(silence, rictus d’une émotion forte, proche des larmes ce qui sera son état pendant de longues minutes)
(…) Je ne veux plus me mentir (respiration, maitrise, silence), je ne veux pas donner l’illusion que ma présence au gouvernement signifie qu’on est à la hauteur sur ces enjeux là (6’10’’), et donc je prends la décision de quitter le gouvernement,
(ND) Aujourd’hui ?
(NH) Oui, aujourd’hui, (6’12’’)
(LS) Vous êtes sérieux ?
(NH) Oui, je suis sérieux
(…) C’est la décision la plus douloureuse (6’24’’)
Et c’est donc une décision qui était un véritable dilemme entre, soit m’accommoder des petits pas, en sachant que si je m’en vais je crains que cela soit pire, soit rester mais donner ce sentiment que par ma seule présence, nous nous mettons en France et en Europe, dans une situation d’être à la hauteur sur le pire défi que l’humanité n’a jamais rencontré, et je décide de prendre cette décision, (silence, émotion, silence) qui est une décision de responsabilité et d’honnêteté
C’est une accumulation de déceptions…Mais c’est surtout parce que je n’y crois plus (10’24’’), pas en l’état.
C’est bien à l’expression entre la tension sur les valeurs propres de l’individu, ses convictions et son agir qu’il nous a été donné d’assister. Sentir, ressentir même, cette tension maximale (pour qui fait preuve d’empathie) entre ce qu’il s’entend dire, l’émotion que cela suscite chez lui et ce qu’il pense sincèrement. Il formule en direct l’inattendu argumentaire qui le conduit non pas malgré lui, mais en plein accord avec ses pensées profondes, ses émotions ressenties et son constat d’impuissance (momentané et relatif pour un observateur bienveillant) ce qui était insupportable pour lui.